Un souvenir en RM 1260, les rois mages de l’Atlantique.

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Je somnole quand j’entends la VHF crachoter. Le temps d’arriver à la table à cartes, la radio s’anime à nouveau : « Hitchcock, Hitchcock, do you read me ? Over. » Je sursaute. L’appel est très clair, manifestement tout proche. Je prends le combiné : « Who’s calling Hitchcock ? Over. » « Hitchcock, this is Blue Steel. » La voix est un peu lasse et l’accent d’Oxford prononcé.

C’est la nuit du 24 décembre, au milieu de l’Atlantique. Hitchcock, notre RM 1260 monoquille, a quitté Lanzarote une semaine plus tôt, cap sur la Martinique.

L’océan n’est pas rangé. L’alizé souffle en permanence autour de 25 nœuds, avec des pointes à 35 ou 40 dans les grains. Une grosse houle de nord-nord-ouest croise la mer du vent. Sous génois ou trinquette tangonnés et un ou deux ris, les surfs sont jubilatoires, les coups de roulis nettement moins. Nous traversons avec mes deux fils, tous deux adultes.

La Lune n’est pas encore levée, la nuit est d’encre, j’ai pris le quart de minuit à 4h00.

A demi-allongé dans la cabine arrière, je m’accorde de petites siestes de vingt minutes entre deux inspections de l’horizon, tandis que mes fils dorment dans le carré, bien calés au creux des banquettes équipées de toiles à roulis.

Avec l’alarme de l’AIS réglée sur un mille et demi et la télécommande de pilote automatique dans la poche, j’ai largement le temps d’intervenir en cas de très improbable rencontre avec un cargo.

Je somnole quand j’entends la VHF crachoter. Le temps d’arriver à la table à cartes, la radio s’anime à nouveau : « Hitchcock, Hitchcock, do you read me ? Over. » Je sursaute. L’appel est très clair, manifestement tout proche. Pourtant, je n’aperçois aucune lumière à travers pare-brise ou hublots. Je prends le combiné : « Who’s calling Hitchcock ? Over. » « Hitchcock, this is Blue Steel. » La voix est un peu lasse et l’accent d’Oxford prononcé.

Elle précise qu’ils sont deux à bord d’un canot à rame. Ils ont quitté les Canaries il y a trois semaines. Ils disputent une transat à l’aviron. Nous ne pouvons pas les voir parce qu’ils n’ont plus une seule lampe à bord, ni frontale ni feux de route. Ils ont chaviré la veille et ils ont perdu tout moyen d’éclairage. Cependant, leur AIS fonctionne toujours et ils distinguent très bien notre feu tricolore de tête de mât.

Ils nous demandent juste d’avoir la gentillesse de corriger notre cap de quelques degrés parce qu’ils craignent une collision.

Je change l’échelle du traceur et là, à deux milles à peine sur tribord avant, je vois apparaître le petit triangle vert qui signale un bateau. Un clic sur le triangle donne sa fiche d’identité : « Blue Steel », rowing boat, longueur six mètres, vitesse : 3 nœuds, cap 240°…

J’imagine ces deux gars perdus au milieu de nulle part, s’escrimant sur leurs avirons dans le noir total, avec cette houle croisée de trois à quatre mètres… Je leur demande s’ils ont besoin d’aide, ils répondent que non, merci, tout va bien, ils sont deuxièmes de la course et de toute façon, ils n’ont droit à aucune assistance.

J’essaye de percer la nuit sans parvenir à les apercevoir. Je, modifie le cap, leur souhaite un très joyeux Noël et vais me rallonger. Par la suite, dans les grains ou les rafales d’orage, nous penserons à nos deux « rois mages », tassés dans leur petit canot susceptible de chavirer pour un oui ou pour un non.

Olivier Péretié RM 1260 Hitchcock

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